Clémentine Fort

Paysages domestiques



Compagnon numérique de l’exposition à la Cité des Pyrénées



Chargement en cours

Cliquez pour entrer.
Glissez pour explorer.

Je crois qu’en vivant à Pau, on ne peut pas échapper à l’image des Pyrénées. Où que l’on aille, on finit toujours par tomber sur la chaîne qui nous fait face. Elle est une sorte de décor de théâtre, un fond, un papier peint devant lequel se déroule nos vies. Son image nous accompagne en permanence. La montagne, n'est pas quelque chose que je pratique, c’est surtout une image que j’ai devant les yeux depuis toujours. Et c'est cela qui m'a intéressée.
Dans mon travail, la montagne est une matière première qui m'a permis de créer l’aménagement intérieur de l'exposition. Elle apparaît comme une image qui me sert à mettre en place un environnement, elle est un prétexte pour faire reculer les limites de ce qui cache l'horizon. Déstructurer son image c'est une façon de voir plus loin, derrière le papier peint.
J'avais envie de quelque chose d’immersif . Et comme la moitié de la salle est en verre et que le rapport dedans-dehors est évident dans l’architecture de ce lieu, j’ai fait le choix de garder uniquement un élément vitré. Cela crée un découpage, un échantillon de paysage que j'introduis dans la composition de la chaine de montagne déstructurée de l'exposition. Mais les autres espaces vitrés sont considérés comme des seuils entre intérieur et extérieur et j'ai voulu créer une " réaction paysagère" à cet endroit, une sorte d’épiderme sensible.
On se situe donc dans un espace intérieur, en immersion au milieu d'éléments de mobilier comme les cadres au mur, les assiettes cassées découpées comme des rochers, les stores qui miment la succession des pics dont l'inclinaison peut aussi évoquer un battement d’ailes ou la pente des toits. On introduit l’évocation du paysage à l’intérieur et on en recompose la variation avec ce qui nous entoure, avec différents éléments du domestique. C'est l'image de la chaîne de montagne que je ramène chez moi pour me l’approprier. J’essaye de rendre visible l’influence du paysage sur nos décors intérieurs et en fait l’un et l’autre se pénètrent et c’est pour cela que je parle de collision entre le paysage et l’espace domestique. Elle entraine ce coté bancal de la recherche de l’oblique et du mouvement.
Cette exposition invite les visiteurs à faire quelque chose avec l’image de la montagne plutôt qu’à venir en apprécier des représentations. Elle peut aussi bousculer leur façon d’être dans un espace d’exposition. Si j’y amène du mobilier, tel le bloc canapé, c’est pour que l’on puisse l'utiliser. Pouvoir s’asseoir, se poser et regarder autour, comme on pourrait le faire chez soi, me paraît important. Cela nous rapproche des espaces qui nous sont familiers et peut-être que cela permettra aux gens de qui ont du mal à entrer dans une exposition de franchir le pas.
Dans les constructions japonaises, on constate que des formes de tailles réduites peuvent suggérer des modèles plus grands. Je me suis inspirée de la façon dont les volumes des intérieurs et des jardins sont pensés, non pour les reproduire mais pour en extraire des mécanismes de composition qui font que dans de tous petits espaces on peut retrouver l’infini ou la profondeur. Voilà, cela a nourri le travail au départ mais ensuite je m’en suis détachée, même si dans la simplicité des formes que je propose il en reste encore des traces.
À tout instant, les stores peuvent être redressés et les images ré-alignées. Rien n'est jamais endommagé tout peut revenir « à la normale ». L'installation produit seulement un décalage du regard ; c’est l’ordinaire qui est rattrapé par l’imagination. Une assiette tombe, elle se casse et on peut voir des choses émerger des débris, je provoque juste un « replacement » du regard. C’est le même effet qui se produit quand les codes d’accrochage sont modifiés. Lorsque j'installe les pièces très en hauteur et que je place du mobilier au sol ces décalages entraînent des points de vue différents.
Dans la présence intemporelle de la montagne, en effet, des strates de temps se superposent et créent la complexité de ce qu’on a sous les yeux. L'autre superposition sensible est celle des formes décoratives. Cette histoire des assiettes peintes que l'on choisit d’exposer comme des tableaux est assez ancienne. Les assiettes au mur, on a vu ça dans les cuisines de nos grand-mères et la tendance actuelle en décoration les remet au goût du jour. J’ai beaucoup de respect pour l'artisanat d'art, les objets fabriqués à la main, les matériaux nobles. Cet intérêt pour la décoration et le design contemporain, je l'inscris vraiment dans mon travail comme un sorte de contre point au travail proprement artistique.
Les distinctions entre art majeur et mineur m’intéressent depuis longtemps ; je me suis saisie de l’opportunité de cette exposition pour l’expérimenter. J’avais déjà bien avancé sur l’accrochage et il me fallait continuer à appréhender le grand espace au sol. C'était l'occasion de positionner du mobilier en dialogue avec les pièces qui occupent les murs et qui ont de ce fait un statut d’œuvre. Cette confrontation participait de la même réflexion à l'œuvre pour l’exposition « Désordre » : où se place la limite entre l’art et l'artisanat ? Le store mis de guingois revendique ici un statut d’œuvre d'art, mais dans un autre contexte il a été conçu pour obturer des ouvertures. Certains éléments de mobilier ont été réalisés par des designers qui ont apporté lors de sa conception une connaissance du dessin et de la matière ainsi qu'un savoir faire qui ne se laisse pas effacer. Comment évaluer sa valeur en regard de ce qui est proposé avec un statut d’œuvre d’art ? Cette question les visiteurs ont le droit de se la poser et d’ailleurs elle anime tout un pan de la création artistique contemporaine.
J'avais déjà décidé de fabriquer la série des cadres et d'y placer cette image de la chaîne de montagnes à laquelle j’avais envie de m’attaquer. C'est juste après que je suis tombée, grâce à mon chien qui chine, sur un sac poubelle rempli d'une documentation ancienne sur les Pyrénées constituée de descriptions de randonnées, de cartes, de relevés topographiques et géologiques réunis par une personne probablement décédée. J'avais accès à l'histoire d’un homme à travers sa déambulation dans la montagne. Cela m’a beaucoup touchée parce que j’avais l’impression d'entrer dans sa vie et de refaire son chemin. Cet héritage me permettait de me retrouver au milieu de ces montagnes sans même y aller. C’est un peu comme s’il m’y avait guidée et cela a nourri ma réflexion. Il me semble que cette personne anonyme se réjouit peut être du fait que tous ses souvenirs aient servi à un travail artistique qui fait l’objet d’une exposition à la Cité des Pyrénées.
J'ai donc développé un projet fait d'une série de cinq cadres contenant chacun une partie d'un panoramique photographique en vue d'en déconstruire l'alignement. C'est là qu'intervient la montagne : à travers le stéréotype d'une vision de la chaîne des Pyrénées que j’ai choisi de « déranger » en introduisant des obliques, du mouvement, des ruptures. En fait j'ai voulu trouver dans ce dispositif, un chemin de traverse qui contrarie l’orthogonalité ambiante de nos espaces de vie.
La montagne, n'est pas quelque chose que je pratique, c’est surtout une image que j’ai devant les yeux depuis toujours.
J'essaye de rendre visible l’influence du paysage sur nos décors intérieurs et en fait l’un et l’autre se pénètrent et c’est pour cela que je parle de collision entre le paysage et l’espace domestique.
Pourtant, à tout instant, les stores peuvent être redressés et les images ré-alignées. Rien n'est jamais endommagé tout peut revenir « à la normale ».
On introduit l’évocation du paysage à l’intérieur et on en recompose la variation avec ce qui nous entoure, avec différents éléments du domestique. C'est l'image de la chaîne de montagne que je ramène chez moi pour me l’approprier.
Mais les autres espaces vitrés sont considérés comme des seuils entre intérieur et extérieur et j'ai voulu créer une « réaction paysagère » à cet endroit, une sorte d’épiderme sensible.
Ainsi, c’est dans son rapport à l’espace domestique que le lieu d’exposition a été appréhendé, comme une maison plutôt que comme une galerie. Paysages domestiques nous invite à pénétrer dans un environnement, à découvrir un aménagement visuel composé d’objets-sculptures où l’espace intérieur et le paysage sont envisagés comme un continuum. La montagne devenant le matériau premier de cet aménagement. On peut alors se demander si c’est le paysage qui pénètre le décor ou si c’est le décor qui entre en collision avec le paysage. Au pied des montagnes, une moquette spécifiquement conçue pour le lieu, représentant un paysage mystérieux, cristallise des enjeux devenus essentiels : la distinction entre art majeur et art mineur, le renouvellement des codes contraignants de l’accrochage d’exposition, la nécessité de créer des situations où le regard est sollicité autrement, la révélation dans un espace donné de l’inscription d’autres espaces possibles.
L'installation produit seulement un décalage du regard ; c’est l’ordinaire qui est rattrapé par l’imagination.